Précurseur de l’écologie politique, penseur de grande valeur, Bernard Charbonneau (1910-1996) est injustement resté dans l’ombre de son grand ami et compagnon intellectuel Jacques Ellul, lui-même encore bien trop confidentiel en France. Pourtant, ses préoccupations existentielles (autour de Kierkegaard, Berdiaev, Dostoïevski mais aussi Montaigne et Rousseau, qui resteront des références constantes), centrées sur la liberté (véritable fil rouge de son œuvre) et la personne humaine, son anticipation de l’autonomisation de la technique, qu’il appelle « la Grande Mue de l’humanité », ses positions à la fois pionnières et critiques sur et autour de l’écologie, servies par un style inspiré et poétique, mériteraient de le porter à la lumière. Ses analyses sur L’État (1949, aujourd’hui chez Economica) et Le Système et le chaos (Sang de la terre, 2012), sa prescience du transhumanisme dans Teilhard de Chardin, prophète d’un âge totalitaire (1963), ses réflexions sur la nature et la liberté, Je fus (1980), Le feu vert (1980) et ses écrits sur l’industrialisation, notamment Le Jardin de Babylone (Gallimard, 1969, L’Encyclopédie des nuisances, 2002) sont à lire et à relire tant l’œuvre de Charbonneau, d’une grande rigueur intellectuelle et morale, était visionnaire. Jacques Ellul disait d’ailleurs de lui qu’il était « un des rares hommes de génie de ce temps » et que sans lui il n’aurait « pas fait grand-chose et en tout cas rien découvert »